Ils ont pour prénoms Éric, Patrick, Alexandre ou Khadi ; pour surnom Doumé, Isamo ou Manouche. Ils n’ont pas pour nom Sdf, car ce n’en est pas un.


Pourtant, c’est sous ce sigle qu’ils sont souvent désignés, banalisés, rendus anonymes. Réduits à trois petites lettres ordinaires, comme est réduit leur habitat à quelques couvertures ou cartons – à peine plus. Mais ils ne sont pas plus anonymes que le passant lambda que je ne connais pas, dont je ne connais pas plus la condition ou l’histoire.


Une histoire dont je ne connais que les quelques petites bribes qu’ils voudront bien me dire, histoire nue ou arrangée, rectifiée, fabulée, cela est sans importance. Mais un présent, une condition très rarement choisie, oscillant entre les heures de quêtes, « de bureau » et celles, nombreuses, d’ennui et de peur.


Comment photographier, faire portrait d’eux, que je ne suis pas certain de revoir ? Pour quoi faire et comment le faire ?

Après avoir tenté la prise de vue numérique puis une impression « domestique » et une restitution décalée dans le temps, mais problématique car leurs lieux et horaires, ainsi que la météo n’ont pas toujours permis ce retour dû, j’ai choisi d’utiliser la photo instantanée.


D’abord, il y a surtout la possibilité de donner une photo immédiatement, et aussi peut-être encore plus important, la possibilité de faire choisir entre deux clichés.

Le temps nécessaire d’apparition de l’image, des images, nécessite un minimum de relation, de parole, de discussion. Et puis, il y a aussi la demande, de ma part, de noter un mot sur la photo, de leur propre main, comme ils m’ont parfois aussi demandé de le faire. Cet échange, verbal d’abord, puis par l’intermédiaire du Polaroïd- l’appareil- ensuite, puis enfin par l’épreuve tenue ensemble et la discussion, parfois côte à côte, lors du choix. Ces moments de relation humaine me sont chers. Tout comme parfois la poignée de main échangée.



Il serait possible de mettre encore plus de mots, de peut-être même théoriser autour de cette façon de pratiquer. Je n’en ai pas nécessairement envie ici. La brièveté et l’intensité de l’échange me suffisent, à chaque fois leçon d’humilité et de courage. 


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