Qu’importe les nombres, surtout les grands nombres. Un blessé, un disparu, un mort, ce sera toujours un de trop. Mari, frère, ami, camarade, amant, fils…mais aussi infirmière, ouvrière, paysanne, fiancée, … tous broyés par l’effroyable machine de guerre industrielle, ses servants requis, asservis, rescapés de l'agonie, par ses serviteurs zélés et planqués, industriels et financiers, haut clergé et hauts fonctionnaires...


   Monuments, cérémonies, commémoration, musique … les morts sont honorés, quelques soient les causes de leur décès…sauf les fusillés, justement réhabilités. Deuil des familles, des orphelins inconnus du père, des amants d'un inoubliable instant, des proches…beaucoup de monde. 


   Bien plus de monde encore chez les blessés. Peu de reconnaissance, de cérémonies, de soutien pour ceux qui ont perdu un bras, un poumon, ou « seulement » la face. Qui pense à eux ? Nous ne les avons connus que vieux, mais ils ont été jeunes handicapés, jeune défigurés, jeunes aveugles, jeunes à jamais traumatisés, ceux dont les sens ont trop perçu la violence et la souffrance, chez qui le non-sens de ces moments a fait basculer la raison et qui à jamais, mais soi-disant toujours vivants, ont quitté ce monde. Tout juste ont-ils droit, en aide, à des billets de la Loterie Nationale, sinistre ironie pour eux qui n'ont pas tiré le gros lot.


   Autour d’eux, combien de souffrances, d’espoirs et de vies brisées ?  Un amour qui s’étiole par l’impossible regard, une vie sociale réduite à néant, le besoin d’une assistance permanente, une famille qui revit sans cesse par procuration ces instants d’apocalypse, ces craquements dans la tête, la perte de l’équilibre psychique…Quelle vie pour ceux-là, entourage de ces pas morts survivants ? La pension ne remplace pas ce que l’on a perdu de soi...



   A quoi bon photographier monuments, forts, cimetières et autres lieux de cérémonies ? Tout cela a été fait, tant, trop de fois. Dans cette série photographique, j'ai essayé de mettre un peu de ce passé dans le présent, en montrant ce présent voilé par la mémoire, laissant remonter les obus et les souvenirs au niveau du sol de ces terres encore infestées et infectées.



   Ces photos sont extraites d'une série réalisée pour une exposition commune avec une artiste peintre dont les toiles figuraient des « gueules cassées ». Elles ont été prises au cours de l’été 2018 sur la ligne de front, autour de Verdun et du Chemin des Dames. 






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